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Publié en 1966, La Construction sociale de la réalité entend renouveler le champ de la sociologie de la connaissance en ne la limitant pas à une histoire des idées et des théories. Il s’agit pour Peter L. Berger et Thomas Luckmann d’étudier les mécanismes à la fois ordinaires et institutionnels, les représentations quotidiennes qui fondent le réel et sa compréhension, entre « significations subjectives » et « facticités objectives ».
book.readingBy
Jérémy Lucas
L’ouvrage s’ouvre sur un effort conceptuel pour désancrer la sociologie de la connaissance de la seule question de la connaissance savante, construite et instituée par des penseurs et des théories identifiés. Question qui en a fait un domaine périphérique de la sociologie, « sorte de commentaire sociologique sur l’histoire des idées » (p.45). L’ambition de l’ouvrage est d’en faire une préoccupation sociologique plus centrale, parce que plus large, celle de « s’intéresser à tout ce qui est considéré comme connaissance dans une société », car « peu de gens seulement s’intéressent à l’interprétation théorique du monde, mais tout le monde vit dans un monde ou dans un autre » (p.61). Monde qui doit sans cesse être décodé, interprété par ses occupants. La sociologie de la connaissance ne part pas de zéro puisque de nombreux courants philosophiques et sociologiques en ont jeté les bases. Marx propose une approche essentielle de la réalité et de sa transformation en connaissance en posant comme principe que « la conscience de l’homme est déterminée par son être social » (p.47). Le sociologue allemand Max Scheler estime que « la connaissance humaine est donnée en société comme un a priori de l’expérience individuelle, fournissant à cette dernière son ordre de signification. Cet ordre, bien qu’il soit relatif à une situation socio-historique particulière, apparaît comme un moyen naturel de regarder le monde » (p.51). Là se situe le cœur du problème. Notre rapport au monde nous semble « naturel » et ce que nous appelons la réalité, celle du quotidien, apparaît en permanence comme allant de soi. Pourtant notre perception de la réalité est socialement réglementée par des éléments contingents et changeants. Pour Karl Mannheim, on trouve ici la définition de l’idéologie : « Aucune pensée humaine […] n’est imperméable à l’influence idéologisante de son contexte social » (p.54). Mais c’est avec les travaux du sociologue autrichien Alfred Schutz que se tisse ici une relation étroite. La connaissance que l’on peut qualifier de sens commun est une somme de représentations dont la « structure détermine entre autres la distribution sociale de la connaissance, sa relativité et sa pertinence pour l’environnement social concret d’un groupe concret dans une situation historique concrète » (p.62). Ce sont les mécanismes de cette distribution qui doivent être étudiés par la nouvelle sociologie de la connaissance que les auteurs appellent de leurs vœux.
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