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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Beauté Fatale

de Mona Chollet

récension rédigée parMaud Leibler

Synopsis

Société

Beauté fatale est le premier essai féministe de l’auteur Mona Chollet. Cet ouvrage est rapidement devenu une référence parmi les lectures féministes contemporaines et marque le début d’un cheminement de pensée pour Mona Chollet qui permettra la parution de deux autres essais sur les femmes. À l’aide de nombreux exemples contemporains, Beauté fatale cherche à comprendre comment le complexe « mode-beauté » est devenu omniprésent dans la vie des femmes et participe à leur aliénation. En créant cette obsession, la société empêcherait les femmes les de réaliser leur plein potentiel.

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1. Introduction

Beauté fatale est un essai très documenté sur la base de travaux de sociologues féministes, mais aussi à travers des extraits de magazines féminins (Elle, Voici), des références à des séries contemporaines (Mad Men, Gossip Girl), des références à des autobiographies d’actrices et de mannequins et des allusions à des scandales récents. Le propos s’intéresse à la place de l’esthétisme dans la société actuelle et aux conséquences potentielles sur l’émancipation de la femme. Mona Chollet dans cet ouvrage émet l’hypothèse qu’en se libérant de l’emprise du culte de la beauté, les femmes pourraient connaitre des avancées dans leurs droits.

Beauté fatale met en avant comment l’industrie de la mode et de la beauté s’est au cours de la dernière décennie infiltrée dans la culture et comment elle est devenue aujourd’hui une culture de masse. À travers cet espace de diffusion, et profitant de la culture historique féminine de l’esthétisme, le « complexe « mode-beauté » véhicule des idées sexistes et racistes, enfermant les femmes dans un rôle de « femme objet » et non de « femme sujet ».

Mona Chollet étudie des exemples de ces sujets aliénants comme le culte de la minceur, l’obsession de la perfection à travers la chirurgie esthétique, la standardisation universelle de la recherche de blancheur, l’illusion de la liberté vestimentaire. Elle montre comment ces diktats contribuent à enfermer les femmes dans un état de subordination. Mais l’auteur montre aussi comment le complexe « mode-beauté » est un héritage culturel féminin, qui peut contribuer à diffuser une culture féminine pouvant contribuer à la libération de la femme.

2. La crise économique comme facteur d’un nouvel élan sexiste

Mona Chollet inscrit sa réflexion dans le contexte historique du XXe siècle, établissant un parallèle entre la situation des femmes aujourd’hui et celle des années 50. Elle entend montrer comment la crise économique de 2008 a généré un retour aux identités sexuées traditionnelles.

Après une vague de libération féministe dans les années 20-30, le monde occidental, au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, connait un retour aux valeurs familiales. Les rôles hommes-femmes sont schématisés à l’extrême : la femme s’occupe de l’intérieur, du chez-soi ; l’homme se charge des affaires. Émergent à cette époque de nombreuses publicités pour des soutiens-gorge rembourrés et pour de l’électroménager ciblant les femmes. Des idées plus anciennes sont remises au goût du jour comme l’accouchement naturel et l’allaitement. La femme qui comme l’homme a besoin d’une alternance temps social/temps pour soi est limitée au temps pour soi. L’enfermement de ces femmes dans un seul rôle conduit au « problème sans nom » mis en avant par Betty Friedman dans La femme mystifiée : des femmes éduquées suivent leurs maris dans les banlieues résidentielles américaines, se concentrent sur leur foyer et ont soudainement des crises de folies, tombent dans l’alcool et la dépression.

Notre époque pousse aussi les femmes vers un retour au foyer, mais dans un contexte économique différent : alors que le contexte économique des années 50 était très prospère, les années 2010 sont marquées par la crise qui entraîne un retour à soi.

Après les années 70 caractérisées par une ouverture sur le monde, sur l’autre et sur l’exploration, les années 2000 ont été marquées par un retour à la sécurité et au confort. La crise économique et le manque de perspective poussent la société à se replier vers des refuges intimes. Deux facteurs sont avancés par Mona Chollet pour expliquer en quoi les femmes sont plus sensibles à ce retour au foyer : d’une part les difficultés au travail rencontrées exclusivement par les femmes (inégalités salariales, harcèlement, discriminations liées à la maternité), et d’autre part l’intérêt croissant pour l’écologie qui pousse les femmes à chercher un mode de vie plus pérenne. Mais les femmes qui quittent leur travail pour se concentrer sur leur maison se retrouvent facilement emprisonnées dans « un perfectionnisme obsessionnel ». Cela laisse pleine place à l’industrie mode-beauté comme l’illustre les exemples innombrables de blogueuses mode/beauté.

3. L’industrie « mode-beauté » envahissant la sphère culturelle

La force de Beauté fatale est de montrer comment l’industrie de la mode et de la beauté s’est peu à peu infiltrée dans la culture pour ensuite trouver sa place au sein de la culture de masse.

Dans un grand nombre de séries et de films, la mode est devenue un élément central du contenu, un personnage à part entière même. Dans des séries comme Sex in the City ou Gossip Girl, les tenues et références aux marques de luxe font partie de l’histoire. De même le film Le diable s’habille en Prada qui pourtant dénonce en partie l’industrie de la mode, contribue à l’engouement pour les grandes maisons de couture. D’autres séries, comme Mad Men sont vidées de leur contenu par les critiques et réduites au style et aux tenues portées par les personnages. La mode empiète ainsi sur les contenus. Ne reste alors que le superficiel, la forme vidée de toute substance critique, et la culture se transforme en produits dérivés achetables. De plus, l’apparition de nombreux blogs mode finit par donner l’impression du luxe accessible pour tous.

Ce phénomène est renforcé par la presse à scandale qui oblige les actrices à devenir des représentantes à temps complet des marques de mode. Ces femmes-objets doivent véhiculer en permanence une image de femme apprêtée, lisse, parfaite, sans accroc, au risque de se trouver au cœur des critiques et de perdre de futurs rôles. Les actrices deviennent par exemple l’égérie de marques de beauté qui font appellent à des réalisateurs pour produire leurs spots publicitaires, mélangeant ainsi la publicité avec le cinéma et rendant davantage flou la frontière entre la culture et le marketing. Le phénomène va encore plus loin lorsque les objets de mode ne servent plus à embellir les femmes, mais à exister à part entière. Les actrices et mannequins sont alors vus comme des « femmes-sandwich » qui doivent mettre en avant un produit. Mona Chollet donne l’exemple de la blogueuse Garance Dorée qui s’amuse d’avoir un garde du corps mis à sa disposition lors d’un événement pour protéger la parure qu’elle porte, prêtée par une grande maison de joaillerie et non pour la protéger elle.

Avec une image de produits intemporels, pouvant traverser les âges, la haute couture à travers les sacs par exemple ou des objets moins coûteux comme un parfum, devient un investissement. L’objet a une histoire et représente un mythe. Il se transmet de mère en fille et rentre ainsi dans le domaine de la culture de masse.

4. Les diktats de beauté véhiculés par le complexe beauté-mode

À travers ces canaux de communication omniprésents, le complexe mode-beauté véhicule aux femmes un certain nombre de diktats qui participe à propager des idées sexistes. Parmi eux, Mona Chollet en étudie plus particulièrement quatre : le culte de la minceur, de la perfection esthétique, de la blancheur et de la jeunesse.

Elle démontre ainsi que la recherche de la minceur nous vient d’un héritage gréco-chrétien qui valorise l’esprit au corps. Le corps est en effet perçu comme sale, animal et devient donc un élément à contenir. Cet aspect est d’autant plus fort pour les femmes qui de tout temps ont historiquement eu une relation particulière à la nourriture, notamment en étant les premières privées lors de grande famine. La prise de poids est aussi inconsciemment liée à la grossesse et devient donc une peur. Les aliments interdits sont relégués aux produits de beauté comme les masques au chocolat.

En devenant mince, la femme échange son corps reproductif pour un corps productif. Ce culte de la minceur s’est amplifié ces dernières années, se traduisant par « un désordre culturel », l’anorexie, qui touche un nombre croissant de jeunes filles. Mona Chollet insiste sur le fait que si les troubles alimentaires peuvent être déclenchés par des vulnérabilités personnelles, ils sont surtout liés à la condition actuelle de la femme. Ils deviennent dès lors des pathologies collectives, les résultats d’un conditionnement social.

Autre point soulevé par l’auteure, le culte de la perfection esthétique a conduit à la banalisation des interventions de chirurgie esthétique. Le corps devient alors un élément extérieur qu’il faut rendre parfait et non plus une représentation de sa singularité et de sa personnalité.

Le culte de la blancheur est aussi très présent dans la culture et les médias. Si les industries mode-beauté tendent à faire apparaître une forme de diversité qui est en fait très peu représentée, c’est souvent avec une image d’exotisme postcolonial. Les couvertures magazines féminins qui montrent une femme ronde ou une femme de couleur sont souvent des numéros spéciaux avec des titres estampillés « Spécial rondes » ou « Spécial beauté noire », classant ainsi la diversité dans des ghettos et contribuant à normaliser la minceur et la blancheur.

Enfin, le diktat de la jeunesse, très présent dans le monde du mannequinat par exemple, représente en fait le souhait des hommes de pouvoir disposer de femmes plus malléables, sans expériences et plus soumises. L’ensemble de ces modèles et prescriptions sexistes « encouragent chez les femmes l’anxiété et l’insatisfaction permanentes au sujet de leur corps ».

5. Des diktats qui transforment la femme sujet en femme objet

La théorie de Mona Chollet est que les impératifs énoncés précédemment participent de l’aliénation des femmes. Le corps de la femme doit prendre le moins de place possible, en particulier au travail, lieu historiquement masculin.

Il ne doit pas être caché au risque de paraitre suspect. La société actuelle exige que les femmes montrent tout leur corps passant par la remise au goût du jour de la jupe (journée internationale de la jupe), l’épilation intégrale, les vêtements moulants et très suggestifs. Mona Chollet pousse même le raisonnement jusqu'à inclure dans cette logique l’interdiction du port du voile à l’école qui oblige les jeunes filles à exposer leur féminité. La valeur de la femme est jugée et évaluée à l’aune de son apparence. Elle est scrutée sans aucun filtre, et ce depuis son enfance.

L’industrie de la beauté vend le succès personnel et professionnel à travers la beauté. La réussite féminine est représentée par des mannequins et des actrices et non par des femmes d’affaires ou scientifiques. Cet accent mis sur le physique entraine souvent une dévalorisation par les jeunes filles de leur capacité au moment où il faut faire des choix déterminants pour leur carrière. Les femmes se cantonnent ainsi à un certain type de métiers ou à la maternité. Les diktats de féminité permettent alors d’entretenir l’idée que les femmes n’ont pas de légitimité intellectuelle et ne peuvent se contenter que d’un rôle « d’objet de fantasmes ». Dans les magazines féminins, il est conseillé aux femmes de garder une part mystérieuse et de ne pas trop parler pour plaire aux hommes. Elles sont poussées à agir dans l’attente d’une reconnaissance des hommes. En citant les récents scandales Polanski ou encore DSK, l’auteur illustre comment les victimes sont rabaissées et comment l’opinion publique nie leur droit au consentement.

Tous ces mécanismes font que les femmes deviennent des femmes objet et non des femmes sujet. Ces conditionnements participent à enfermer les femmes dans un monde d’apparences, où contrairement à l’homme, elle n’existera que par une beauté qui est de plus en plus inaccessible.

6. La culture de la beauté comme héritage féminin pouvant au contraire favoriser l’émancipation des femmes

Si le « complexe mode-beauté » a pris autant de place dans la vie des femmes, c’est qu’il s’appuie sur une culture féminine transmise entre femmes depuis plusieurs générations. Cette culture s’appuie sur trois valeurs : le souci de l’apparence qui depuis le XVIIIe siècle a été abandonné par les hommes, le goût du détail qui est perçu comme insignifiant par la société, et la fuite hors du monde qui s’illustre par le goût pour des sujets intemporels, revenant de manière cyclique – les « marronniers » – largement repris par la presse féminine par exemple (un numéro spécial minceur avant l’été, spécial fêtes en décembre, etc.). Cette saisonnalité enferme les femmes dans « un univers ahistorique, apolitique, sans mémoire, condamné à l’éternel recommencement ».

Si cette culture féminine peut apporter une autre vision du monde et être cultivée en force, elle est aussi largement exploitée par l’industrie mode-beauté poussant les femmes à la consommation et les cantonnant à ces valeurs et rôles. Avec l’emprise du complexe mode-beauté, ces préoccupations sont en fait la seule possibilité d’expression pour les femmes, et la culture féminine devient aliénante. Elle est détournée pour ne devenir qu’un objet de consommation.

Les femmes évoluent donc entre l’envie de rejeter totalement cette culture féminine pour pouvoir se libérer des stéréotypes et le désir de revendiquer au contraire cette culture qui est dénigrée par la société. De même, si la presse féminine est décriée pour enfermer les femmes dans des sujets récurrents et des modèles aliénants, ils sont avant tout des espaces où les questions des femmes existent contrairement à la presse généraliste qui se trouve être en fait très masculine : par exemple, pour sept hommes cités une seule femme apparaît.

Utilisé à bon escient, le complexe « mode-beauté » peut devenir un facilitateur de l’émancipation des femmes. Chollet cite ainsi l’exemple du créateur japonais Yamamoto, dont les pièces expriment la vision de femmes d’envergure, existant par et pour elles-mêmes.

7. Conclusion

Mona Chollet livre avec Beauté Fatale un des rares essais traitant de la relation des femmes à la beauté. S’appuyant sur le travail de sociologues féministes anglo-saxonnes ainsi que sur de nombreux exemples concrets, elle montre en quoi la beauté et la mode peuvent jouer un rôle aliénant pour les femmes. Partant de l’idée que l’intérêt pour cet esthétisme vient d’une culture féminine partagée, elle montre comment l’industrie mode-beauté l’utilise à des fins purement consuméristes et participe à véhiculer des valeurs sexistes rabaissant la femme.

La force du propos est de ne pas rejeter cette culture féminine, mais plutôt son usage et de montrer comment cette dernière peut être utilisée pour au contraire permettre une avancée des droits des femmes.

8. Zone critique

Le propos de Mona Chollet permet une vraie remise en question des pensées limitantes et injonctions sociales imposées aux femmes. Elle amène le lecteur à repenser son propre rapport au corps et à la beauté. En affirmant qu’il existe une culture féminine transmise entre les générations, l’auteure déculpabilise les femmes sensibles à ces valeurs et les pousse à réfléchir à comment transformer cet héritage en force.

Mona Chollet s’appuie sur de nombreux ouvrages de sociologues et anthropologues féministes, mais cite aussi de nombreux exemples contemporains qui pourraient être analysés plus en profondeur. Tous ne semblent cependant pas s’appliquer à la vie quotidienne et reflètent davantage la réalité de certains milieux comme le monde du mannequinat et du cinéma.

9. Pour aller plus loin

– Mona Chollet, Chez soi. Une odyssée de l’espace domestique, Paris, La Découverte, coll. « Zones », 2015.– Mona Chollet, Sorcières : La puissance invaincue des femmes, Paris, La Découverte, coll. « Zones », 2018.– Naomi Wolf, The Beauty Myhth, How Images of Beauty Are Used Against Women, Harper, 2002.– Virginie Despentes, King Kong Théorie, Grasset, 2006.– Betty Friedman, La Femme Mystifiée, W.W. Norton and Co., 1964– Chimamanda Ngozi Adichie, Chère Ijeawele, ou un manifeste féministe en quinze points, Gallimard, 2017.

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