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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

La Notion de politique

de Carl Schmitt

récension rédigée parMarion AlphonseÉlève de l’ENS de Lyon. Diplômée en histoire de la philosophie et en Études internationales – Amérique Latine.

Synopsis

Philosophie

Dans cet ouvrage, Carl Schmitt propose une définition du politique qu’il comprend essentiellement comme le champ dans lequel l’on distingue les amis des ennemis. En d’autres termes, le politique consiste dans le rassemblement des citoyens contre un ennemi commun. Écrit après la Première Guerre mondiale, dans un contexte démocratique et pacifique, l’ouvrage émet une critique forte envers ces idéaux. Selon, lui, le libéralisme, le pluralisme et la recherche du consensus démocratique neutralisent la politique, puisqu’ils rendent l’affrontement impossible. C’est dans cette optique qu’il revendique une dictature ayant à sa tête un souverain capable de prendre des décisions.

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1. Introduction

La Notion de politique est un ouvrage profondément ancré dans le contexte bien précis de l’après-Première Guerre mondiale. Les États européens cherchent à préserver la paix et fondent en 1919 la Société des Nations, institution qui s’inspire de l’idéal kantien d’une paix universelle et perpétuelle.

En Allemagne, par ailleurs, des penseurs, comme Hans Kelsen, défendent un État de droit qu’ils conçoivent comme un ensemble d’institutions objectif, neutre et positif qui repose sur un appareil juridique logique et scientifique. D’un autre côté, en opposition à ces idéaux émerge dans l’Allemagne des années 1920 et 1930 une forte montée du nazisme : Adolf Hitler publie Mein Kampf, son manifeste nazi, en 1925. La pensée de Carl Schmitt tend plus à pencher vers les aspirations de ce second courant. Se basant initialement sur l’idée d’une crise de l’État moderne, Carl Schmitt propose de réhabiliter la sphère du politique qui se voit progressivement abolie par le libéralisme. Le politique, pour lui, c’est l’identification d’un ennemi commun face auquel doit se défendre un État constitué d’un ensemble de citoyens « amis ». Les États européens, en cherchant à instaurer le pluralisme politique, le consensus démocratique et la paix, mettent de côté cette dimension essentiellement conflictuelle du politique et risquent soit de tuer la politique, soit d’être vaincus par leurs ennemis. Carl Schmitt se réclame par ailleurs de la pensée de Thomas Hobbes. Ce philosophe anglais du XVIIè siècle défendait l’idée selon laquelle les individus devaient renoncer à leur liberté et transférer leurs droit à un souverain unique qui sera capable de les protéger tout en les unissant. C’est de ce souci de sécurité et des moyens proposés pour y répondre que Carl Schmitt s’inspire. L’ouvrage se propose d’identifier la spécificité du politique afin de montrer que le libéralisme politique et le débat démocratique visent à neutraliser la politique. Face à ce constat, il faut, selon Schmitt, confier à un souverain le pouvoir unique de décision.

2. Qu’est-ce que le politique ?

L’objet central de La Notion de politique consiste à proposer une définition du mot de « politique » dont le sens profond du terme disparaît avec l’instauration progressive de la démocratie et la recherche de la paix universelle. Qu’est-ce que le politique ? Si le texte initial est écrit en allemand, il est important de préciser que la traduction française a su distinguer le politique de la politique. Dans la tradition philosophique, le politique désigne le domaine du vivre-ensemble tandis que la politique se réfère spécifiquement à la pratique effective des politiciens et des gouvernements. C’est donc dans le premier sens qu’il faut comprendre le projet de Schmitt. Il ne s’agit pas de définir la manière dont s’organisent les affaires publiques, mais bien d’identifier l’essence même du champ du politique. Une des idées que Carl Schmitt reprend de son professeur, Max Weber, consiste à concevoir le monde comme composé de différentes sphères : la sphère de l’esthétique, celle de la morale, celle de la politique, etc. Pour eux, il est nécessaire distinguer les différentes sphères pour pouvoir penser le monde. Or, pour ce faire, il faut identifier la distinction spécifique produite par chaque sphère. Ainsi, la sphère de l’esthétique différencie le beau du laid, la sphère de la morale permet de reconnaître le bien du mal et celle de la politique sépare l’ami de l’ennemi. Les sphères ne se confondent pas : ce qui est de l’ordre de la politique ne se mêle pas de bien et de mal. La spécificité du politique, c’est donc de différencier l’ami de l’ennemi. Comment s’opère cette distinction ? Pour Schmitt, c’est lorsque se dessine une frontière entre un peuple et « les autres » qu’a lieu le politique. Le propre du politique est de rassembler un ensemble de citoyens dans un État dont les frontières sont formées par la séparation entre les amis, les citoyens de l’État, et les ennemis, ceux qui le menacent. L’ennemi, c’est celui que l’on cherche à tuer. En effet, l’ennemi, c’est l’Autre, c’est-à-dire celui qui a ce que Schmitt appelle une « forme de vie » différente de la mienne : s’il existe plusieurs « formes de vie » dans le monde, elles sont vouées à se détruire entre elles, car chacune cherche à devenir la forme de vie dominante. Dans cette optique, il n’est pas possible d’adopter une tierce position. Le propre de la politique, c’est donc de se positionner dans un conflit, de faire la guerre.

3. Critique du libéralisme

Le libéralisme et l’anarchisme sont deux phénomènes qui entravent le politique. Après avoir défini le politique dans sa spécificité, Schmitt montre pourquoi d’après lui celle-ci disparaît peu à peu dans l’Allemagne des années 1930 en développant une critique au libéralisme d’une part et à l’anarchisme d’autre part. La première critique concerne l’anarchisme. L’anarchisme repose pour lui sur une fiction selon laquelle l’homme est fondamentalement bon. Les anarchistes confondent la sphère de la morale avec celle du politique. Pour eux, il existe différentes formes de vie, mais elles ne sont pas incompatibles et peuvent coexister. Il est de l’ordre de la fiction, pour Schmitt de ne pas concevoir une forme de vie différente de la mienne comme une menace pour ma survie, et c’est dans cet écueil que tombent les anarchistes en confondant morale et politique. Le libéralisme, par ailleurs, nous fait entrer selon Schmitt dans « l’ère des neutralisations et des dépolitisations ». Le libéralisme politique, en effet, propose un modèle démocratique reposant sur le débat et le consensus dans le but d’éviter la guerre.

Or, si pour Schmitt, la politique consiste dans l’affrontement à mort avec un ennemi commun, c’est donc précisément cela qu’empêche le libéralisme, qui, en réalité, confond les sphères de la politique, de la morale et de l’économie. Le libéralisme, en cherchant à neutraliser les conflits, dépolitise : la paix universelle transformerait le monde en une immense administration bureaucratique neutre et apolitique. La seule manière de ne pas tuer le politique dans un contexte de paix mondiale serait en effet qu’il existe un ennemi commun extérieur à la Terre, puisque sans ennemi, il ne peut exister de politique.

4. Décisionnisme, exceptionnalisme et souveraineté

En définissant ce qu’est le politique et aussi ce qu’il n’est pas, Carl Schmitt propose sa propre vision de ce que doit être un gouvernement : il revendique une dictature avec un souverain unique. Quelles en sont les caractéristiques ? Pour Carl Schmitt, l’État doit être pacifié à l’intérieur et les citoyens doivent être unis contre un ennemi extérieur. En effet, le but premier de l’État est de faire régner l’ordre et d’éviter la guerre civile afin de préserver les citoyens. Or, pour ce faire, il est nécessaire d’unir les citoyens qui se considéreront entre eux comme « amis » contre l’ennemi qui lui, devra être extérieur. Si le but de l’État est de protéger les citoyens, il faudra donc se défendre de l’ennemi extérieur et, par là même, empêcher la création d’un ennemi intérieur, tel est le processus de pacification. Seul l’État souverain est apte à mener le processus de pacification et de défendre ses citoyens. C’est en effet la seule instance qui puisse définir qui sont les amis et qui sont les ennemis à travers la mise en place de frontières, les déclarations de guerre et la mobilisation des citoyens pour le combat. Or, c’est pour Schmitt dans l’acte de décision que le pouvoir se manifeste. Autrement dit, c’est en situation de prise de décision, c’est-à-dire d’exception, que l’État souverain exerce son pouvoir politique, puisque la politique, c’est la distinction de l’ami et de l’ennemi. C’est pour cette raison que l’on qualifie la doctrine schmittienne de « décisionniste ». En dernier lieu, on qualifie également cette pensée d’exceptionnaliste. Pour le comprendre, il faut se référer à la métaphore théologique produite par l’auteur dans La Notion de politique dans le chapitre « Théologie politique ». Ce que propose Schmitt, c’est de « politiser les concepts théologiques ». En effet, explique-t-il, si le pouvoir divin se manifeste lorsqu’il produit des miracles, le pouvoir souverain, lui, se manifeste lorsqu’il se montre capable de produire des situations d’exceptions, c’est-à-dire d’identifier un ennemi et de lui déclarer la guerre. Exceptionnaliste, décisionniste, et souverain, tel est la doctrine du pouvoir d’État que défend Carl Schmitt.

5. Conclusion

L’objet de La Notion de politique consiste à proposer une définition de ce que signifie « le politique » afin de le remettre au centre d’une société qui, selon Schmitt, est en train de l’effacer progressivement. Le politique n’a lieu que lorsque guerre il y a : c’est dans le conflit à mort que le pouvoir souverain de l’État se manifeste, lorsqu’il décide d’annoncer la mise à mort de l’ennemi commun à l’ensemble des citoyens amis. L’ouvrage a fait tragiquement date puisqu’un an après la publication de cette courte conférence, Adolf Hitler est élu à la tête l’Allemagne, bien que Carl Schmitt entretienne une relation ambiguë avec le NSDAP. Le juriste, en effet, se méfie d’un parti qui menace l’ordre constitutionnel. Il finit pourtant par se rallier à Hitler, qu’il considère comme le seul homme politique capable d’incarner un pouvoir fort, le seul politicien de l’Allemagne des années 1930 capable de faire de la politique.

6. Zone critique

Si la pensée de Carl Schmitt a servi de socle théorique au parti nazi et à son entreprise mortifère, génocide et conquérante, dans le cadre de l’actuelle crise de la démocratie représentative en Occident, elle a une résonance particulière : le constat d’un libéralisme neutralisant qui empêche de pratiquer la politique est partagé par de nombreuses personnes. Parmi elles, plusieurs penseurs s’attellent cependant à tenter de trouver des solutions démocratiques au diagnostic anti-libéral. C’est le cas de certains courants anarchistes ainsi que de différents penseurs de la gauche radicale. D’un côté, les anarchistes situationnistes du collectif Tiqqun reprennent l’analyse de Carl Schmitt selon laquelle le libéralisme est dépolitisant, tout en pensant une solution tout à fait différente. Un point diffère en effet : si pour Schmitt les différentes formes de vie sont incompatibles entre elles et cherchent mutuellement à se dominer dans l’affrontement, pour les situationnistes, ces mêmes formes de vie peuvent coexister, sauf celles qui cherchent à dominer toutes les autres, par exemple, l’État. Pour eux, il est donc nécessaire de faire de l’État un ennemi commun pour que les différentes formes de vie puissent ensuite vivre et s’exprimer librement. D’un autre côté, ce sont cette fois-ci les penseurs de la gauche radicale Ernesto Laclau et Chantal Mouffe qui reprennent et adaptent le diagnostic de Carl Schmitt. Pour eux, la crise de la démocratie représentative naît de l’absence de conflictualité et de débat dans la société neutralisée par le libéralisme consensuel. Il faut donc, comme le suggère Carl Schmitt, réinstaurer la conflictualité. Pour Laclau et Mouffe, cependant, cette conflictualité diffère en deux points : d’abord, il ne s’agit pas de définir un ennemi à tuer, mais bien un adversaire avec qui débattre réellement.

Par ailleurs, cet adversaire ne doit pas être extérieur à l’État, mais faire partie de celui-ci : il est un adversaire interne qui défend une conception de la société différente de la mienne avec qui je dois débattre. À partir du constat de Carl Schmitt, Laclau et Mouffe proposent un d’approfondir la démocratie afin de revitaliser la politique.

7. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– La Notion de politique, Paris, Flammarion, 2001.

Ouvrages de Carl Schmitt– Théologie Politique. 1922, 1969. Paris, Gallimard,– Théorie du partisan, Paris, Calmann-Lévy, 1972.

Autres pistes– Chantal Mouffe, L’Illusion du consensus, Paris, Albin Michel, 2016 [2005].– Chantal Mouffe, Pour un populisme de gauche, Paris, Albin Michel, 2018.– Chantal Mouffe et Ernesto Laclau, Hégémonie et stratégie socialiste, Buenos Aires, FCE, 2004 [1985].– Ernesto Laclau, La Guerre des identités. Grammaire de l’émancipation, Paris, La Découverte, 2015 [2000].

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